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PERMIS DE CONDUIRE??

  • Kanel DUPLESSIS
  • 25 août 2010
  • 7 min de lecture




Pour le guadeloupéen, Si il y a une chose plus précieuse qu’une femme, qu’une maison, qu’un job, c’est une voiture. Voici son portrait !

Jusqu’à tard dans tes années d’ados tu as fréquenté assidument les cars.

En bonne campagnarde de Massioux Anse-Bertrand, tu aimerais bien de temps en temps quitter  ton champ de canne pour voir à quoi ressemble la ville et pourquoi pas, voir le dernier film au ciné Rex. Mais en manque cruel de taxi avec chauffeur, à défaut de piquer discretos le tracteur de papi, il ne te reste qu’une unique solution : le car !

Sous le soleil chaud (surtout qu’à L’Anse-Bé, il est plus bas que sur tout le reste de la Guadeloupe), tu attends au bord de la rue l’arrivée du prochain transport en commun.

Après une heure d’attente désespérée, « Gonzague », qui s’était arrété au lolo de Man’Albè pour prendre son décollaj’, finit enfin par pointer.

Gonzague, le papi dragueur, lunettes noires sur le nez, stationne à ton niveau, tire la bobinette  et la corde en jute attachée à la poignée de la porte pour que, par le procédé longuement étudié durant toutes ces années, la porte puisse s’ouvrir toute seule.

Vu que toute la population d’ Anse-Be est déjà installé sur tous les sièges à moitié mangés, tu te retrouves obligée de t’asseoir sur les strapontins du milieu.

Le zouk à fond la caisse, c’est au moins deux heures de pur plaisir que tu passes, à te lever de ton strapontin toutes les 3minutes pour laisser passer sortants et arrivants. (ben oui, c’est au 3e pyé mango qu’il faut s’arrêter même si la voisine est descendue au 1er, 2m50 plus bas !). Enfin, arrivée à Vieux-Bourg Morne-A-L’eau, tu arrives enfin à choper la place à coté de Mamie Gâteau-Fouetté.

Ah !!! Mamie Gâteau-Fouetté….Toujours très prévenante, elle te demande : « Ti doudou, Mamie pa ka  two séré’w ? » . Toi, bien élevée de ton état, les hanches et les poumons broyés entre la fenêtre et son majestueux postérieur qui prend 1 place ¾, tu esquisses un petit sourire et le souffle à moitié coupé, tu lui réponds : « Mais nooon, Mamie, tout va bien ! Je suis très bien installée ! »

 Arrivée à Pointe-à-Pitre, tu prends ta pièce de deux euros pour taper 2 coups secs sur la vitre du car. Peine perdue : Mamie Gâteau-Fouetté t’avait déjà devancée en hélant bien fort pour que sa voix puisse couvrir les discussions et le zouk saucisson un retentissant : « Dééééposeeeeez !!! »

Enfin à Pointe-à-Pitre, tu vas tranquillement à ta petite séance de ciné de 11h. A la fin du film, pas le temps de rester à philosopher sur le jeu de scène dramatique de l’acteur secondaire. On est Samedi et le dernier bus décolle à 13h35. Si tu le loupes tu te retrouveras coincée à Pointe-à-Pitre jusqu’à lundi matin.  Pas le temps pour la bise, tu tiens fermement ton sac et tu piques un énorme sprint pour arriver à l’heure à la station du Rond Point Miquel.

Tous les derniers cars sont la. D’un regard, tu balaies des yeux la rangée de bus en cherchant exactement celui qui te ramènera à Massioux.

Les Aides de Car, qui ne se sont manifestement pas concertés au sujet de ton morphotype, essaient tant bien que mal, de te faire monter dans leur bolide :

«  Hey, Chabine !! Les Abymes ? Le Moule ? Morne-à-L’eau ?? »

« Pssiiit Négresse !! Petit-Canal ? Les Mangles ? Port-Louis ?? »

Et là, alors que tu es bien heureuse d’avoir trouvé une petite place à l’ombre bien confortable, Papi Damoiseau, l’haleine chargée de rhum, les auréoles sous les bras et ayant visiblement oublié de mettre son Sanbon depuis quelques semaines s’assoit bien sur juste à coté de toi. Et, se rapprochant à l’extrême pour que tu puisses mieux entendre, te dit d’un air compatissant :  « Ah Chabine ! Fout’ y ka fè cho en péyi la minm ! »

Désespérée, tu te décides finalement à passer ton permis de conduire.

Les prix du précieux sésame sont exorbitants. Alors prenant le taureau par les cornes, tu t’inscrits au concours de Miss Massioux et apprends deux trois phrases sur le tourisme à l’Anse-Bertrand et sur « Comment il faut sauver la planète ». Quelques rimé croupions en maillot de bain et en robe de corps plus tard, tu gagnes enfin ton forfait code+20h de conduite.

Passer le code n’est qu’une formalité dès que tu as géré comment répondre aux 40 questions de type :

«  J’arrive au quatre chemin du Moule. Une grosse poule blanche marrée avec du fil rouge se trouve bien au milieu. » A. Je m’en fous, je roule dessus.Toujou ni on couyon pou fè dé bétiz en péyi la sa. B. Woyyy ! Mi voisin la mété on kimbwa pou madanm ay ! Je fais demi-tour et je ne regarde surtout pas le fil rouge dans mon rétroviseur ! C. Protéger, Alerter, Secourir : Je mets mes feux de détresse, je m’arrête sur l’accotement, j’enfile mon gilet de sécurité, je cours vite mettre mon triangle 30m avant le carrefour, j’enlève l’obstacle de la chaussée, j’appelle mon épouse pour lui dire que je ramène le déjeuner et je mets le poulet dans mon coffre. En évitant un potentiel accident, je suis un parfait exemple de citoyenneté ! et un bon petit fricassée de poulet avec un riz et pois rouge sera impeccable ! D. Je m’arrête. Je fais mes contrôles. Je passe. Quoi, il y avait quelque chose sur la route ?

Autant dire tout de suite que si tu choisis la réponse D, tu te fais recaler direct et on t’exigera un mot de l’ophtalmo certifiant que tu t’es bien fait opérer de ta myopie sévère avant de te représenter à l’examen.

Une fois le code en poche, il te reste la douloureuse épreuve de la conduite.

Après 20heures passées à te faire draguer par ton moniteur - qui plaçait entre deux bien lourds  « Et oui, jte jure, ma femme ne sera pas au courant !! » un furtif « Tourne à droite »,-  sachant à peine comment passer ta marche arrière, (à 50euros/heure, encore heureux que tu l’aies gagné ton permis!) on te donne enfin la date fatidique.

Tu te retrouves assise au banc des accusés du Raizet, avec 20 autres flippettes ayant une tête de condamnés au peloton d’exécution regardant les copains de cellule se faire décapiter juste avant eux.

Tu prends la température du moment en tendant l’oreille : « Ti mal, 25 moun ja passé la, on sèl moun ja pren’y !!! »

Juste à ce moment fatidique d’extrême confiance en soi , la voiture-école s’arrête à ton niveau. Le candidat s’enfuit de la voiture en pleurant et ton moniteur, à l’arrière, te dit discrètement, «  Tiens, la place s’est libérée, c’est ton tour ! »

Tout à fait rassurée, tu t’installes à ton poste de conduite, tu règles ton siège, les rétros, mets ta ceinture et commences ton épreuve.

Par chance, sur les 30 minutes d’examen, tu restes 28minutes et 40 secondes coincée derrière un corbillard et 2000 mamies à chapeau et papis en complet à écouter « Angélo, Angélo » en boucle.

En remerciant secrètement Mamie Boléro, directrice de la confédération des clubs du 3e âge de la Guadeloupe et des îles de la Caraïbe, d’avoir fait une dernière bonne action, c’est fièrement que tu descends de la voiture en secouant bien ton papier jaune pour que tous les autres puissent en admirer la couleur et en crever de jalousie.

Une fois le permis en poche, tu te rends compte de la dure réalité du terrain.

Acheter une voiture neuve relève du parcours du combattant.

Tu n’as même pas encore franchi la porte de la concession que les commerciaux (du même concessionnaire…) se battent entre eux comme des chiffonniers à coup de : « C’est moi qui l’ai vue en premier, c’est ma cliente ! » « Non, c’est ma cliente, c’est moi qui lui ai parlé en premier !»…

Premièrement flattée d’avoir tant d’attention, tu déchantes vite en comprenant que tout ce cinéma n’était certainement pas pour le plaisir de te donner le meilleur conseil commercial et les meilleures offres, mais pour gagner leur commission…Le pire étant bien quand ils te prennent à partie, limite en te faisant culpabiliser : « Franchement, ce n’est pas loyal de votre part d’aller parler à mon collègue, vous imaginez un peu, c’est moi qui vous dit bonjour et c’est lui qui fait l’affaire ? C’est vraiment dégueulasse ! » (avec un petit air de chien qui va manger des croquettes leader Price ce mois ci au lieu des boulettes Friskies).

Complètement soulée par les commerciaux alors que la voiture était potentiellement intéressante, sans même qu’ils l’aient même remarqué, tu te barres dans une autre concession.

Là, étant fixée sur un autre achat, on te met en contact avec la SOGUAFI qui te propose l’offre alléchante que voici.  Pour ta voiture coutant 55000 E (vitres teintées offertes):

-          Nom du client : GRAGé Sikakoko -          Employeur : CAF et ASSEDIC -          Type de contrat : Contrat trèèès longue durée -          Apport personnel : 10,50 E -          Montant des traites mensuelles : 400 E -          Durée du crédit : 240 mois (20 ans) -          Cout total du crédit :39000 E

Au final, le temps que tu comprennes que ton AUDI TT rouge « Au feu des pompiers » t’aura couté   96010,50 euros, ça fait longtemps que tu auras déjà signé en bas à droite et que les huissiers seront venus la saisir sous tes fesses pour la revendre aux enchères.

Il ne te reste plus qu’à racheter comme tous les copains ta Peugeot 106 3portes à 1500 E, bien négocié.

Revendant les options facultatives de ta voiture (clignotants, miroirs des rétroviseurs, ampoule du phare avant gauche et des feux stop), tu peux enfin la tuner à mort.

Tu la repeins en jaune phosphorescent avec des flammes sur les cotés, tu fais installer une sono embarquée digne d’une boite de nuit avec DJ inclus, une machine à fumée (pour que tes antibrouillards servent à quelque chose), des lumières laser multicolores changeant en fonction du tempo de la musique, des jantes alu 18pouces, et des écrans lecteurs DVD pour chaque passager. Bien sûr, tu fais marquer sur le devant son petit nom : « Tigresse » et sur le pare-brise arrière : « Si ou pé vwè’y au lwen, sé kè'w ja two pré ».

Fier comme un pou sur le crâne d’un chauve,  tu prends un énorme pied à emmerder tous les automobilistes faisant peinardement un dépassement à la vitesse maximale autorisée. Pour ça, tu as ton arme secrète : 1.Se coller à 2.5mm du train arrière 2. Faire ronfler le moteur 3.Faire des appels de phare non stop 4.Gesticuler en marmonnant des choses incompréhensibles derrière son volant.

Bien sûr en dépassant, on baisse ses lunettes noires, et on regarde fixement l’autre chauffeur d’un air indigné car il a osé (Ô offense suprême !!) ne pas évacuer immédiatement la chaussée en ayant aperçu Tigresse au loin.  

Un beau jour, tu te présentes au rond point de Perrin à 1h du mat pour faire ronfler Tigresse dans quelques tirages.

Malheureusement, au moment où tu pointes à 240km/h, un dogue allemand prénommé Paf, s’échappe du domicile de son maître et traverse innocemment la rue.

BIM ! Fini le chien, et Finie Tigresse, complètement réformée.

Paf le chien finira sa douce existence sous la pluie et le soleil à pourrir, gonfler puis exploser les boyaux à l’air entre Minou le chat et Timon la mangouste qui auront subi le même sort pour notre plaisir visuel et olfactif à tous.

Pendant ce temps, toi, une jambe dans le plâtre, le permis en moins à cause du retrait des 6 pauvres points de ton permis probatoire pour délit routier, tu passeras le prochain trimestre à refréquenter assidument le cher « Gonzague » avant de pouvoir posséder ta LIGIER sans permis.

Bien sûr, fidèle à toi-même, tu rouleras toujours en lunettes noires et vitres teintées montées, mais cette fois ci pour que, mort de honte, on ne te reconnaisse certainement pas à rouler à 50km/h sur route nationale !!!!

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© Mots doux et perles épicées by K. DUPLESSIS

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